Avec « Un petit frère », Léonor Serraille met au coeur de la compétition cannoise un récit souvent marginalisé, celui de l’intimité d’une famille issue de l’immigration, ici ivoirienne, et offre des rôles intenses à un casting d’acteurs français noirs.
Le film est signé d’une réalisatrice de 36 ans qui avait remporté la Caméra d’or en 2017 avec son précédent opus, « Jeune Femme », avant d’être propulsée en compétition officielle.
Pour « Un petit frère », la cinéaste a choisi de s’inspirer de l’histoire de son compagnon, et père de ses deux enfants pour raconter le parcours, sur une trentaine d’années, de Rose (Annabelle Lengronne).
Rose ne fait rien comme les autres: si elle a quitté sa Côte d’Ivoire natale et son mari pour la banlieue parisienne, emmenant ses deux fils dans ses bagages, ce n’est pas pour des raisons économiques, mais pour assouvir « sa soif de liberté », explique la réalisatrice à l’AFP.
Maîtresse de son destin, elle assume d’élever ses enfants seule, et préfère séduire les hommes qui lui plaisent plutôt que de céder aux avances de celui qui promet de la prendre, avec ses enfants, sous son aile.
Le film va regarder Rose et ses enfants, Jean et Ernest, grandir et évoluer – les relations parentales et fraternelles, les âges de la vie, l’amitié et l’amour formant le coeur du sujet, le racisme et les tiraillements identitaires ne restant qu’une toile de fond.
La montée des marches de #UnPetitFrère, le nouveau film de #LéonorSerraille avec #AnnabelleLengronne, @StephaneBak, #KenzoSambin et @Ahmed_Sylla, prétendant à la Palme d’Or du @Festival_Cannes. #Cannes2022 pic.twitter.com/0cH6onriHe
— Diaphana Films. (@diaphana) May 27, 2022
« Cette histoire raconte des choses de mon pays qui ne sont pas racontées, qui sont intériorisées », explique Léonore Séraille à l’AFP, qui a voulu faire « un roman de famille » sur « des personnages qui manquent au cinéma ».
Récusant cependant toute « démarche militante », et assumant de pouvoir « s’approprier tout sujet tant qu’on est juste », la réalisatrice, blanche, offre avec ce film des rôles de premier choix à tout un casting d’acteurs noirs.
Derrière les têtes d’affiche, ces derniers restent confrontés à un manque de rôles, dans un cinéma français qui tente timidement de s’ouvrir aux questions de diversité.
« Un petit frère » révèle tout d’abord le talent d’Annabelle Lengronne, remarquable dans le rôle de Rose, sur trois décennies.
« C’est le courage de ce personnage, qui choisit de s’émanciper, qui m’a donné très envie de l’interpréter », explique à l’AFP l’actrice, vue dans les comédies « Les Kaïras » puis « La Fine équipe » (2016), puis dans le drame « Filles de joie », sur la prostitution, en 2020.
« C’est une petite histoire dans la grande, sans misérabilisme », loin des rôles de « femmes martyrs ou de mères courage, dont on oublie la vie, par exemple sexuelle », souvent offerts aux femmes issues de l’immigration, note-t-elle.
Elle précise que le rôle est de pure « composition »: née sous X à Paris, elle a grandi avec des parents adoptifs venus des Pyrénées et d’Auvergne: « je n’ai d’africain que mon physique ».
En plus d’une galerie de personnages secondaires, plusieurs acteurs se succèdent dans la peau de ses fils, dont l’humoriste et comédien Ahmed Sylla, ou Stéphane Bak, qui joue Jean jeune adulte.
« Il y a pléthore de récits non explorés en France, c’est un beau testament de ce qu’on peut donner dans le futur », souligne Stéphane Bak, qui lui aussi a commencé comme humoriste, très jeune.
Outre son rôle dans « Novembre » de Cédric Jimenez, présenté aussi à Cannes (hors compétition), il tenait l’un des rôles rôles principaux du dernier film de Robert Guédiguian (« Twist à Bamako »), après une apparition chez Wes Anderson (« The French Dispatch »).
Les « Afro-descendants, comme on dit, ont cravaché pendant des années et mangé des cailloux », et le « nombre de partitions que l’on peut jouer » s’accroît, reconnaît-il : mais « ce n’est pas encore donné à tout le monde, ni aussi accessible » que les rôles offerts aux Blancs.