Sous le thème «L’autre côté de la détention politique au Maroc», le Collectif féministe Khmissa a organisé une rencontre avec les familles des détenus politiques. Le maître mot de cette vidéoconférence était «l’injustice». Témoignages.
On entend dire dans les milieux populaires que «l’incarcération n’est pas celle du détenu, mais plutôt celle de sa femme ou sa maman».
Cet adage qui peut s’appliquer aux familles des détenus politiques au Maroc résume comment l’incarcération d’un proche, surtout s’il est considéré comme innocent chez les siens, s’impose inexorablement à leur entourage avec en tête leurs mamans et leurs femmes comme une véritable peine psychologique, sociale, financière et émotionnelle.
Ces dernières sont certes mères ou épouses de détenus, mais pas n’importe lesquels, des détenus politiques. Elles ne vivent pas seulement le calvaire de voir un être chéri enfermé entre quatre murs, mais celui de l’entendre souffrir sans pouvoir l’aider.
La charge émotionnelle
«Nos enfants souffrent en prison et nous souffrons en dehors de celle-ci. Quand mon fils est en grève, je me trouve dans un état second. Je souffre plus que lui», a cédé la mère du détenu du Hirak du Rif, Nabil Ahamjik.
Invitée par le Collectif féministe Khmissa à débattre avec la mère de Nasser Zefzafi, Zoulikha Ssi-Haddou, la mère d’Omar Radi, Fatiha Charibi et l’épouse de Soulaimane Raissouni, Khouloud Mokhtari de leurs expériences en tant que proches de détenus politiques, Mme Alia Boughroum a donné un triste aperçu des épreuves vécues par ces femmes.
La dernière en date est celle de l’épouse du journaliste Soulaimane Raissouni qui a été bouleversée, vendredi 09 avril, par un appel via lequel elle a appris que «son mari a entamé une grève de la faim totale, avec refus de boire de l’eau, en protestation à une fouille humiliante de sa cellule».
Cette femme, qui a dû élargir son rôle de mère à celui du père afin de combler les besoins de son fils Hachem, s’est trouvée contrainte d’assurer seule le rôle de Cheffe de ménage.
Le poids financier et l’effet ciseau
Une mission qui n’est pas facile à remplir vu que le poids financier de l’enfermement de son mari sur elle est considérable.
D’autant plus qu’elle a dû faire face à un «effet ciseau». D’une part, en une perte de ressource et, d’autre part, en une augmentation des charges occasionnées par la détention (déplacements, frais d’avocats, etc.).
Certes, elle parvient à supporter seule la multitude des contraintes qui lui ont été imposées au prix de sa quiétude, mais elle n’a pas que cela à gérer.
Elle a doit aussi faire face aux «dommages collatéraux» du combat de son mari pour la liberté.
«J’ai dû me déplacer vendredi à 14h à la prison d’Oukacha pour savoir ce qui se passe avec mon mari. Le directeur de la prison étant absent, j’ai perdu le nord. Je voulais juste avoir des informations sur ce qui se passe avec mon mari, mais je suis restée sur ma faim», raconte Khouloud.
«Que gagnerait la direction de la prison à maltraiter un détenu? ce genre d’agissements est inapproprié et indigne d’une institution (Administration pénitentiaire NDLR) qui se respecte», a-t-elle regretté.
«Soulaimane ne peut prendre ce genre de décision que s’il n’avait pas ressenti la Hogra ou s’ils n’avaient pas blessé son amour propre», a-t-elle assuré.
La ténacité des mères des détenus politiques du Rif
Essayant de réconforter Khouloud, mais également Fatiha Charibi, la mère de Radi qui s’est joint à la grève de la faim de Raissouni, Mme Alia a affirmé avoir vécu ces tristes épisodes et su de quoi il s’agit.
Malgré ses blessures, cette Rifaine qui a appris à se serrer les dents et continuer à militer malgré tout, a appelé la mère de Zefzafi, Mme Zoulikha à faire preuve davantage de patience.
«Je l’appelle à faire preuve davantage de patience et je prie pour elle et pour toutes les mères oppressées par l’Etat», a-t-elle dit.
«On compati avec Fatiha et avec Khouloud, car on sait bien de quoi il s’agit», a noté pour sa part, la mère de Nasser Zefzafi avant de se remémorer avec affliction ce qui s’est passé avec ce dernier lors de l’une de ses nombreuses grèves de la faim.
«Mon fils s’est évanoui et tombé sur son visage, il est resté ainsi sans attirer l’attention des autres détenus. Quand son avocat est allé le voir, il l’a trouvé trempé dans le sang dans le cachot. Il avait une chute de tension, et Tamek (le DG de l’Administration pénitentiaire NDLR) ne nous a pas avisé», a-t-elle retracé.
Un mélange de fierté et de frustration
«Ce n’est que lorsque les avocats ont rendu visite à mon fils qu’on a su ce qui s’est passé. Je suis resté abasourdie en apprenant cela… j’étais consternée», a-t-elle regretté.
«Nous essayons de les dissuader à faire des grèves sous prétexte que ça va nuire à leur santé. On leur dit que c’est ce que veulent leurs tortionnaires, mais ils répondent qu’ils n’ont pas d’autres moyens pour se défendre. Le jour où a été diffusé l’audio de mon fils en train de raconter la torture dont il a souffert… il a été trainé au sol nu devant les autres détenus. Ça ne se fait pas à un homme», a-t-elle déploré avec amertume.
Fière de son fils, elle a déclaré que «bien qu’il était nu devant les autres détenus, il n’a pas arrêté de crier «Vive le Rif» et les autres détenus, solidaires, criaient avec lui».
Ce qui ne tue pas rend plus fort
Bien qu’elles soient dévastatrices, les expériences de ces femmes semblent les avoir rendues plus combatives que ce qu’elles n’étaient auparavant.
Tout comme Alia et Zoulikha, la mère du journaliste détenu Omar Radi, Fatiha Charibi, est revenue en détail sur les déboires de son fils avec la «justice».
«Qu’Allah rende justice… la tragédie d’Omar Radi n’a pas commencé en juillet 2020, mais bien avant. Précisément, lorsqu’il a été arrêté en décembre 2019 pour un tweet commentant les jugements de 20 ans contre les détenus du Hirak du Rif», a-t-elle raconté.
«Ces jugements l’ont vraiment mis en colère, il a écrit quelques phrases contre ce jugement oppressif en considérant que le juge est un bourreau. C’est une figure de style à travers laquelle Omar voulait dire que «comme si ce juge a tué ces détenus».
Les représailles rancunières
«Pendant, l’arrestation d’avril –huit mois après, car faut-il le rappeler le Makhzen, aussi rancunier qu’il est, a une mémoire d’éléphant– j’étais hospitalisé», s’est-elle rappelé.
«Après ce triste épisode est venu celui en relation avec la publication d’un rapport d’Amnesty International révélant que les autorités marocaines l’avaient illégalement espionné au moyen de son téléphone. Là, va commencer son long calvaire avec les appareils sécuritaires et les interrogatoires de 8 à 10 heures (plus de 11 convocations)».
Je suis reconvoqué pour la 8ème fois demain samedi à 9h par la BNPJ.
— Omar Radi (@OmarRADI) July 24, 2020
Un calvaire qui n’a pas été celui d’Omar seul, mais de toute sa famille. Mme Fatiha, qui l’accompagnait pendant toutes ces convocations, faisait pied de grue devant la BNPJ en l’attente de sa sortie.
«J’ai toujours l’amertume de ne pas l’avoir accompagné le jour de son arrestation. Ce jour-là, il n’avait pas pris ses précautions. Il est parti sans ses vêtements et les affaires qu’il préparait d’habitude en prévision de son arrestation, qui n’était qu’une question de temps pour lui».
Mme Charibi a mis en exergue un autre aspect de peines endurées par les proches des détenus. Celui de la calomnie des médias de diffamation.
Impunément calomnié
«En parallèle avec les convocations de mon fils, les médias de diffamation étaient en train de le condamner. Les employés de la chaine à la mauvaise réputation Chouf TV l’attendaient devant la BNPJ. Cette presse de caniveau a condamné mon fils avant la justice».
«La «journaliste» disait dans les Lives « voici l’espion, voici le journaliste espion du MI6» sans aucun respect de la présomption d’innocence», se rappelle Fatiha avec dégoût.
«Les rumeurs peuvent finir avec un jeune comme Omar, peuvent l’empêcher d’arracher ses droits», craint-elle pour son fils.
Selon elle, «la plus grande souffrance est quand les données personnelles sont divulguées alors qu’elles sont protégées par la loi. Comment voulez-vous qu’on garde notre confiance dans la justice ?»
Tout comme Khouloud, elle ne croit point les accusations proférées contre son fils. «L’affaire du viol a poussé comme de la mauvaise herbe. Comment ce jeune ouvert et partisan des causes de la femme peut violer ? Les jeunes s’entendent entre eux, je ne peux pas interférer dans ça».
La Hogra, sentiment partagé
Loin d’endurer le stigmate social, les témoignages de ces femmes montraient à quel point elles étaient fières de leurs détenus politiques, mais aussi à quel point elles se sentent oppressées.
Le terme maghrébin «Hogra», qui renvoie à plusieurs sens et qui peut définir le mépris, le dédain, l’oppression, ou encore l’injustice et l’excès et l’abus de pouvoir des autorités, est revenu plusieurs fois sur les langues des intervenantes.
Une des facettes de cette peine « purgée » par ces familles est l’épreuve financière. «Je suis atteinte de cancer, sans les bienfaiteurs comment j’aurais pu me soigner. Je n’ai pas de complexe à le dire, les gens m’aident et financent mes déplacements pour voir mon fils», a-t-elle révélé.
«Justement, mon fils n’a pas revendiqué de portefeuille, il a seulement réclamé son droit à une vie décente. On veut vivre tous», a clamé Mama Zoulikha.
L’espoir d’une libération
«Tous les Rifains nous aident, car les revendications de mon fils sont les nôtres», a-t-elle poursuivi.
«Pourquoi les jeunes qui fuient la misère meurent dans des bateaux de fortune?», s’est-elle interrogé en faisant référence au retour à migration clandestine après la répression du Hirak.
Sur le même registre, sa compagne de lutte Alia s’est exclamée : «Qu’avons fait ces jeunes pour mettre en péril leur santé et leur vie? Pourquoi ils font ça ? Pour jouir de leurs droits les plus fondamentaux…»
«Nos enfants n’ont pas commis quelque chose qui justifie cette humiliation. Ce sont des nationalistes qui veulent servir leur patrie. Ces jeunes méritent des Wissams (décorations). C’est honteux ce que fait l’Etat avec ces hommes honnêtes».
«Allah s’est interdit l’injustice à Lui-même et à ses serviteurs. C’est de la Hogra ! Ceux qui doivent être poursuivis sont ceux qui ont pillé le pays. Nos enfants avaient des revendications élémentaires et légitimes. Cela ne mérite pas 20 ans de prison», a-t-elle martelé avant de demander à l’Etat de libérer ces «enlevés politique» et pas «détenus politiques», selon ses termes.