France: Manifestations contre la loi Sécurité globale, les manifestants devant la justice

Interpelés, samedi à Paris, lors de la manifestation contre la loi « Sécurité globale », les manifestants étaient devant la justice ce lundi. Pendant ce temps, associations et syndicats ont dénoncé une longue liste des « dérives inadmissibles ».

La voix frêle, veste noire, cheveux courts, Adrien, 18 ans, s’approche du micro dans le box de la salle d’audience : « je me suis fait gazer, arroser par les policiers… quand ils ont chargé, c’était la fois de trop ». Il a alors jeté une canette vide.

Près de 150 manifestants interpelés

Comme près de 150 autres manifestants, Adrien a été interpellé samedi en fin d’après-midi à Paris, après une journée de manifestation contre la loi sécurité globale marquée par des tensions tout au long du cortège, mais aucune dégradation.

Après 36h de garde-à-vue, il comparait lundi devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris notamment pour violence envers personnes dépositaires de l’autorité publique.

Il était près de 19H00 samedi quand, selon le témoignage d’un gendarme, les forces de l’ordre ont vu un individu « se rapprocher des CRS et leur lancer un projectile, ce qui semblait être une pierre ou un objet métallique ». Les gendarmes ont alors « immédiatement interpellé l’individu, et n’ont pas vu si le projectile avait atteint sa cible ».

Lundi, on ignorait toujours où avait atterri la canette.

« C’était une canette qui contenait quelque chose? », demande la présidente.

– Avant oui, mais quand je l’ai lancée, elle était vide.

– Vous l’avez lancée vers qui?

– En direction des policiers.

– Les policiers chargeaient?

– Quand j’ai lancé, ils étaient statiques, mais cinq minutes avant ils chargeaient.

– Pourquoi vous avez jeté cette canette?

– Je pense que j’étais énervé.

– Pour quelle raison?

– J’ai fait beaucoup de manifestations dernièrement, pacifiquement, avec une pancarte, je me suis fait gazer, charger par les policiers, arroser, j’ai jamais répondu à rien et je pense que quand ils ont chargé samedi dernier, c’était un peu la fois de trop.

Dans son téléphone, nulle trace de violence. Des photos, des précédentes manifestations à Paris où on le voit, égrène la présidente, « souriant, portant une pancarte en carton sur laquelle est inscrit +Souriez+ ».

« Les policiers précisent que vous ne semblez pas commettre de dégradations ou de violences, néanmoins vous êtes à proximité des événements et vous vous faites prendre en photo. Qu’est-ce-que cela signifie?

– J’ai 18 ans, j’ai Instagram… j’ai jamais approuvé ce qu’ils ont fait ».

Pour ce jet de canette, la procureure requiert 3 mois de prison avec sursis contre « un geste de révolte inadmissible ».

Interpelé en amont de la manifestation

Arrive Thomas, 28 ans, veste noire, jogging blanc. Lui a été interpellé avant de rejoindre le cortège.

« Je suis arrivé en métro rue de Rivoli, j’avais mon masque chirurgical et un bonnet sur la tête. Ils m’ont interpellé, j’ai obtempéré, j’ai ouvert mon sac je leur ai montré », raconte cet inspecteur en électricité.

A l’intérieur, « deux grenades fumigènes sous une couche de pain de mie, une clef – un outil – et des piles en nombre », énumère la présidente.

« Pourquoi du pain de mie avec les fumigènes?

– A l’intérieur de mon sac à dos, j’avais mis un sac avec ma nourriture et de l’alu, pour pas que ça se balade trop.

– Vous aviez mélangé les fumigènes avec votre pain de mie? C’est un peu curieux?

– Je savais pas où le mettre en fait.

– Les grenades fumigène, ça fait longtemps que vous les aviez?

– Une semaine.

– C’est la première fois que vous en emmeniez en manifestation?

– Oui

– Pourquoi?

– J’avais participé à une manifestation en novembre et il y avait des personnes avec des fumigènes. Je me suis dit, c’est pas mal, ça donne une bonne visibilité, c’est joli ».

Placé en garde-à-vue samedi à 14H40, il a été condamné lundi après-midi à quatre mois de prison avec sursis, et interdit de séjour à Paris pendant six mois.

Adrien a, lui, été condamné à trois mois de prison avec sursis.

A la mi-journée lundi, le parquet faisait état, sur « 105 garde à vue intervenues en marge de la manifestation », de 8 comparutions immédiates, une ouverture d’information judiciaire, 35 rappels à la loi, 40 classements sans suites. Et seize garde-à-vue étaient toujours en cours.

Des « arrestations arbitraires », dénoncent les associations

Plusieurs associations et syndicats ont dénoncé dimanche des « arrestations arbitraires » lors de la manifestation la veille contre la très controversée proposition de loi Sécurité globale à Paris, où près de 150 manifestants ont été interpellés.

« Interpellations en masse, charges infondées faisant éclater le cortège, retenues sans motif légitime au-delà du délai légal, gardes à vue notifiées à la chaîne sur la base d’infractions pénales dévoyées… »: pour ces associations dont Attac, le Syndicat national des journalistes ou la Ligue des droits de l’Homme, la liste des « dérives inadmissibles » est longue.

« Comme nous le redoutions », poursuivent-ils dans leur communiqué, « la manifestation parisienne, bien que dûment déclarée par un collectif d’organisations et autorisée par la préfecture de police, s’est transformée en souricière ».