La dénutrition touche des patients hospitalisés, mais aussi des malades du Covid-19. On ne lui prête pas attention, pourtant elle peut tuer.
Le grand public et même certains médecins ne lui prêtent guère attention, pourtant elle peut tuer: un collectif de soignants et de militants veut alerter cette semaine sur les dangers de la dénutrition, qui touche une part alarmante des patients hospitalisés, des seniors, et désormais aussi des malades du Covid-19.
Cette pathologie, qui se manifeste par une perte de poids importante et soudaine (plus de 5% en un mois) chez les malades ou les personnes âgées, se heurte à une forme d’incrédulité, car « les gens ne comprennent pas comment on peut être dénutri dans une société d’abondance », souligne Jérôme Guedj, l’un des coordinateurs de la première « semaine nationale de la dénutrition », du 12 au 19 novembre.
Selon le collectif organisateur, le phénomène toucherait 25% des personnes âgées ayant besoin d’une aide à domicile, et même 30 à 40% des résidents de maisons de retraite. A l’hôpital, 30% des patients seraient dénutris.
Parmi eux, les malades du cancer sont particulièrement concernés, mais aussi les victimes d’une forme grave du Covid-19. Selon une étude en cours de publication, portant sur 403 patients hospitalisés pour Covid, la perte de poids moyenne atteindrait 6,5 kilos.
La dénutrition ou la maigreur en un clin d’œil
Joseph-Robert Iannone, 67 ans, a lui vécu un amaigrissement bien plus dramatique: il a perdu 17 kilos en un mois, soit 18% de son poids, lors de sa longue hospitalisation à Grenoble pendant la première vague épidémique, au printemps.
Après 20 jours en « réa » dont une semaine en coma artificiel, « j’étais d’une maigreur cadavérique, ma femme ne m’a presque pas reconnu », raconte le sexagénaire, qui a mis six mois à récupérer son poids d’origine. « Moi qui étais plutôt costaud, toute ma musculature avait fondu. J’ai dû réapprendre à marcher, à monter les escaliers », poursuit-il.
Même s’il n’est pas toujours aussi spectaculaire, l’amaigrissement rapide doit toujours inquiéter, souligne le Pr Eric Fontaine, médecin nutritionniste et président du Collectif de lutte contre la dénutrition.
Car le malade qui se dénutrit va essentiellement perdre des muscles, plutôt que de la graisse – le phénomène est donc alarmant y compris pour des personnes obèses ou en surpoids -, et cela va altérer ses défenses infectieuses.
« Très mal enseignée, même aux médecins », cette maladie est également mal comprise par les patients eux-mêmes, déplore le Dr Fontaine. Certains sont non seulement inconscients de la gravité du problème, mais en plus se réjouissent de perdre du poids, se désole-t-il.
Vieillir ne fait pas maigrir
Selon un récent sondage Ifop réalisé pour le collectif et la Fondation Jean Jaurès, 49% des Français pensent – à tort – que la dénutrition est une « conséquence de la famine », et seuls 19% l’identifient comme une maladie. Et la majorité des sondés pense – à tort également – qu’il est normal de maigrir quand on a une maladie grave, ou en vieillissant.
Or, « vieillir ne fait pas maigrir », martèle Agathe Raynaud-Simon, gériatre à Paris. En revanche, plus on vieillit, plus des pathologies diverses font perdre l’appétit, explique-t-elle.
Depuis les grands épisodes de canicule, le grand public a appris que « les personnes âgées perçoivent mal la sensation de soif, mais c’est vrai aussi pour la faim », poursuit la gériatre.
« La difficulté c’est qu’il faut être un peu intrusif, pour faire manger des gens qui n’ont pas faim », selon le Pr Raynaud-Simon. Pour cela, une bonne astuce est d’enrichir l’alimentation sans augmenter le volume de l’assiette, par exemple en rajoutant du beurre ou un oeuf dans une purée.
Or, « dans les Ehpad, on manque de personnel et de temps » pour faire attention à ces détails, ou pour se demander, tout simplement, « qu’est-ce qui ferait plaisir » à tel ou tel convive, déplore la gériatre.
Selon elle, la dénutrition peut aussi concerner les seniors restés à domicile, particulièrement en ces temps de confinement: « beaucoup de personnes isolées chez elles ont perdu de l’appétit à cause du stress, de l’isolement, de la peur de sortir faire leurs courses ».